On associe de plus en plus les vieilles pierres aux nouvelles technologies. Des études, des colloques, des expériences montrent les effets que les nouvelles technologies engendrent sur le patrimoine. Grâce à des procédés dune modernité extrême, on découvre des pans entiers de notre patrimoine qui avaient disparu, on le restitue dans son contexte historique, on le perçoit mieux, on se le réapproprie.
Des monuments révèlent des choses insoupçonnées jusqualors grâce à lutilisation de nouvelles techniques, les images de synthèse établissent un diagnostic précis de létat dun édifice avant sa restauration. Les cédéroms permettent de reconstituer lensemble dun monument ou dun vestige, faisant apparaître des pans disparus et révélant la démarche et les motivations du créateur de lépoque. La numérisation des archives préserve à linfini le contenu du document et le rend consultable à tout moment, aussi bien par le chercheur que le grand public. Ainsi les nouvelles technologies permettent de protéger le patrimoine, de le valoriser mais aussi daccroître les connaissances sur le sujet, que lon soit scientifique ou citoyen lambda.
Nous avons privilégié trois axes pour analyser le rôle que les nouvelles technologies jouent sur le patrimoine : la protection, la valorisation et la diffusion du patrimoine. Si les nouvelles technologies permettent sans aucun doute délargir et daffiner notre regard sur le patrimoine, elles posent aussi des questions dordre déontologique.
Les nouvelles technologies sont un moyen de protéger le patrimoine
Leurs effets sont mesurables aussi bien dans la conservation des archives que dans la restauration des édifices.
La conservation des archives
Comment conserver à long terme des documents dont certains sont menacés, fragilisés ou même détériorés physiquement ? Par la numérisation qui permet de préserver à linfini le contenu du document. A chaque fois, on change le support, seul le contenu importe. Pourtant ce procédé ne va pas sans difficulté. Certains estiment quil faut conserver le document ancien, dautres pensent à linverse quil faut sans cesse convertir les documents anciens vers les nouveaux formats. Dautres encore affirment quil faut améliorer les logiciels afin de pouvoir lire les anciens formats sur du matériel nouveau.
Finalement la difficulté est liée à la constante évolution de la technologie qui rend obsolètes les supports. Les premiers cédéroms des années 80 sont difficiles à lire, illustrant finalement la fragilité des supports liés aux nouvelles technologies. Les grandes institutions telles que le Louvre, la Bibliothèque nationale de France (BnF), lInstitut national de laudiovisuel (INA) ou la Réunion des musées nationaux (RMN) enregistrent tous les documents sur cassette numérique. Mais la BnF fait en plus des copies sur des disques en verre trempé gravé dont la durée de vie est estimée à 100 ans. A lINA, les opérations de sauvegarde jouent un rôle important. On sefforce de transférer limage ou le son dun support physique dégradé sur un support neuf pour en pérenniser la conservation. Quand le support est trop dégradé, on numérise limage directement.
En fait larchivage numérique est indispensable car certains documents se périment mais la qualité est moindre. Lautre problème qui se pose réside dans le choix des documents numérisés. A chaque vague de numérisation, de nombreux documents sont rejetés car ils sont jugés secondaires. Or comment déterminer aujourdhui ce qui peut constituer demain du patrimoine ? Cest à cette question que les conservateurs et les archéologues sont de plus en plus confrontés.
La restauration du patrimoine
Grâce aux nouvelles technologies, on peut mesurer précisément les dimensions dun édifice, mieux appréhender ses contours. Limage numérique permet de déceler les altérations dune uvre et détablir ainsi un diagnostic détat pour préparer éventuellement les interventions du restaurateur.
Récemment, à partir dimages numériques, les chercheurs de lÉcole nationale supérieure des télécommunications ont établi un protocole de recherche pour préciser létat de luvre avant son départ et à son retour. Ce système est contraignant car les prises de vue doivent seffectuer au millimètre près. Mais la caméra infrarouge permet daccéder à des choses insoupçonnées. Un tableau de Corot a ainsi révélé des dessins sous-jacents, on est ici au carrefour de la connaissance et de la restauration. Les nouvelles technologies permettent de découvrir des pans inconnus dune uvre et notamment de mieux appréhender sa maturation.
Sur un autre registre, la maquette de synthèse propose une nouvelle interprétation de lédifice, sans doute plus globale et qui aide à sa compréhension. Le modèle interactif intègre toutes les subtilités et toutes les déficiences de lédifice, révélant ainsi lensemble des connaissances. A partir de ce constat, les travaux de restauration peuvent se dérouler. Par exemple, après les travaux, les modifications sont greffées sur la maquette sans que soit effacé létat originel, et informent sur lhistoire récente de lédifice. Des études de poussées et de charges sont simulées et les déformations enregistrées. La maquette de synthèse est aussi particulièrement adaptée lorsquil sagit de montrer des objets fragiles ou menacés et des sites inaccessibles, comme les grottes sous-marines par exemple.
Les chercheurs utilisent enfin le relevé darchitecture qui procède de lobjet bâti et non de lidée architecturale que lon sen fait. Les scientifiques ne sappuient plus sur des shémas mentaux. Avec lintroduction des techniques du relevé dans lunivers de linformatique, ils appréhendent mieux la forme effective du bâtiment.
Ces techniques qui constituent un apport révolutionnaire dans le domaine de la restauration participent aussi à la valorisation du patrimoine.
Les nouvelles technologies offrent des outils pour valoriser le patrimoine
Lorsquon évoque la valorisation du patrimoine, on pense aux nouvelles découvertes opérées sur des monuments, des sites ou des tableaux mais aussi aux reconstitutions virtuelles dédifices disparus.
Le cas des visites virtuel
Cette expression correspond à une réalité qui sest développée au cours de ces dernières années. Premier aspect : le cédérom. Sa grande force nest pas doffrir une visite « comme si vous y étiez » mais plutôt de montrer « mieux que si vous y étiez ». Si lélément tactile est irremplaçable, la connaissance, elle, peut saméliorer. La présentation de lédifice, le style de lécriture et la restitution du contexte historique dans lequel luvre a été créée peuvent informer davantage le public quune simple visite physique. En valorisant le patrimoine, les nouvelles technologies relèvent le défi de la connaissance et de la cohérence. La difficulté réside dans le fait de trouver léquilibre pour être à la fois pédagogique et ludique. La collaboration des conservateurs et des scénaristes est à ce titre fondamentale. Le cédérom consacré au Centre Pompidou renvoie à luvre originale mais il va plus loin, étant lui-même une véritable uvre dart.
Lautre élément qui contribue à enrichir notre patrimoine, cest la construction dun site à lidentique. Lascaux 2 par exemple a été mis en place pour protéger les peintures de la grotte qui sabîmaient sous leffet du gaz carbonique provoqué par lafflux des visiteurs. Cette réplique permet aux visiteurs de continuer à visiter la grotte tout en protégeant loriginale, désormais fermée au public. La valorisation du patrimoine existe mais elle nest pas déterminante.
Prenons lexemple de la grotte de Niaux dans lAriège. Dans ce cas, le fac-similé valorise complètement le patrimoine. Loriginale reste ouverte. La réplique nest là que pour améliorer la connaissance. Pour preuve : la restitution des peintures avec leurs détails innombrables et cachés grâce au procédé de la photographie à la lumière ultraviolette. Dans ce cas, la restauration effectuée équivaut à une vraie valorisation. Le public peut voir des peintures plus proches de la réalité préhistorique que les originaux eux-mêmes.
Lapport des nouvelles découvertes scientifiques
On vient de le constater, une restauration débouche souvent sur une valorisation. Cest pourquoi la limite est souvent ténue entre les deux. Les procédés que lon a énumérés dans le paragraphe consacré à la restauration jouent un rôle essentiel dans la valorisation dun site, dun édifice ou dune peinture.
La caméra infrarouge révèle des esquisses sur un tableau. La Marietta de Corot, lun des plus beaux nus de lhistoire de la peinture, a révélé un dessin sous-jacent. La caméra infrarouge a donc permis la découverte dune nouvelle uvre qui nous renseigne sur le travail préparatoire et les dispositions intellectuelles du peintre à lépoque. Le Louvre abrite de nombreux dessins préparatoires effectués par Corot. On peut ainsi apprécier la maturation et lévolution intellectuelle de lartiste.
Grâce aux images de synthèses, on peut aussi reconstituer les pans disparus dun édifice. La restitution en images de synthèse de la Tholos de Delphes est à cet égard très intéressante. Les images ont permis denrichir le volume architectural en lui redonnant son ornementation sculptée et sa décoration. Cest le même cas de figure avec la réplique de la grotte de Niaux. La restitution en relief a permis de retrouver le contexte de la caverne, de percevoir les choix de lépoque. Les images ne sont pas le fruit du hasard mais dun calcul scientifique du volume des salles. Un problème déontologique se pose alors : ce travail nécessite une collaboration totale entre larchéologue ou le restaurateur et linformaticien ou le scénariste. La réalité scientifique ne doit pas sévaporer sous les coups de la virtualité.
Ainsi ces procédés ultramodernes permettent, sils sont utilisés à bon escient, denrichir le patrimoine, mais aussi notre connaissance. Les nouvelles technologies sont en effet un vecteur extraordinaire pour diffuser le patrimoine.
Les nouvelles technologies facilitent la diffusion du patrimoine
Grâce aux nouvelles technologies, le chercheur fait de nouvelles découvertes, valide plusieurs hypothèses et précise ses conclusions. Mais surtout, ces recherches sont consultables instantanément aussi bien par le scientifique que le simple citoyen. Leur communication est immédiate et planétaire. Un chercheur américain communique à son confrère français ses travaux par fichiers numérisés et inversement. Un étudiant sénégalais accède au Louvre sans se déplacer. La Joconde est vue, observée et analysée aux quatre coins du monde.
Un second aspect, plus récent, participe à la diffusion du patrimoine. Il sagit des centres multimédia dont certains sapparentent à de véritables cybercentres. Le plus significatif est celui abrité par labbaye de Fontevraud.
Parmi les chercheurs mais aussi vers le grand public
Les nouvelles technologies bouleversent la recherche par les nouveaux instruments quelles mettent à disposition des chercheurs. Limage numérique modifie la relation du scientifique au document image. La possibilité dagrandir les images avec une très bonne définition et une très grande liberté facilite la lecture du document et donc son interprétation. Cet élément conjugué avec lintérêt du stockage donne aux travaux des scientifiques plus de flexibilité. Chacun peut consulter instantanément les hypothèses de travail du confrère. Lémulation est totale. Les conclusions des uns et des autres peuvent être regroupées dans un corpus numérique susceptible de senrichir à tout moment. Les maquettes de synthèses qui restituent tel ou tel édifice évoluent en temps réel. Lun découvre une voûte, lautre la crypte et cest tout lédifice qui se transforme, presque sous nos yeux.
Car le public est étroitement associé à ces recherches et à ces découvertes. Même sil na pas accès à certains documents qui sont réservés à des professionnels (comme cest le cas à lINA par exemple), le citoyen peut consulter la plupart des documents et archives regroupées dans de gigantesques bases de données. Les médiathèques, les photothèques sinscrivent le plus souvent au sein des bibliothèques. A la BnF, au centre Pompidou, le public accède à des images, des sons et des écrits qui ont été numérisés. On peut consulter les cédéroms consacrés à des édifices, des musées ou des vestiges. Des vestiges français, mais aussi étrangers. Le Louvre ou Louxor depuis Pompidou, cest possible. De véritables bibliothèques numériques sont en train de se développer.
Ce mouvement sopère par lintermédiaire des musées, des bibliothèques ou même des monuments traditionnels. Certains dentre eux, à forte valeur symbolique, deviennent même des centres de recherche alliant létude du patrimoine et des nouvelles technologies.
La création dun cybercentre patrimonial : le cas de Fontevraud
Labbaye royale de Fontevraud, qui constitue lensemble monastique le plus important dEurope, a fêté au mois doctobre ses 900 ans dexistence. Plusieurs manifestations sont organisées. Un colloque intitulé « Le virtuel et la pierre » a lieu les 25, 26 et 27 octobre. Il sagit de réfléchir aux relations qui existent entre le patrimoine et le multimédia. Comment les nouvelles technologies peuvent-elles permettre de reconstituer virtuellement des édifices en partie disparus? Comment peuvent-elles transformer limage dun site?
Mais ce colloque symbolise en fait le lancement de plusieurs manifestations autour des relations entre le patrimoine et le multimédia qui se dérouleront tout au long de lannée. Des classes de patrimoine seront accueillies régulièrement. Un parcours virtuel mettant en valeur certaines parties de lédifice sera organisé. La projection dun film en images de synthèse est prévue sur lun des murs du couvent du Grand Moûtier. Enfin, labbaye va être un lieu de résidence à la fois pour les artistes et les historiens qui pourront confronter leurs points de vue, leurs hypothèses et éventuellement tirer un certain nombre de conclusions.
Lidée est de faire de Fontevraud un véritable cybercentre qui soit un site de référence en matière de recherche, de création et de formation dans les domaines de la conservation patrimoniale et de la création multimédia. A terme, labbaye pourrait se transformer en une sorte de Villa Médicis du numérique et être ainsi un centre européen de création et de formation.
En transformant un monument à forte valeur patrimoniale en centre multimédia, on facilite sa protection et sa valorisation, mais surtout on élargit sa diffusion. Un nouveau public va sintéresser à lédifice en raison des connexions que les nouvelles technologies peuvent créer avec dautres disciplines : lart, lhistoire ou la science.
Les effets positifs que les nouvelles technologies engendrent sur le patrimoine sont certains. Des dangers et des difficultés existent néanmoins. Le rôle des conservateurs, des scientifiques, des artistes et des informaticiens est à ce titre primordial. La présentation du patrimoine ne doit pas seffectuer au détriment de lexactitude historique.
Dune manière plus globale, il faut aussi sinterroger sur le risque de devenir amnésique en raison de notre foi numérique. Car plus la technique est sophistiquée, plus la communication est immédiate, intense et planétaire et plus elle risque dêtre éphémère, à moins dêtre classée immédiatement « historique ». Or seulement 10% des archives sont numérisées, le reste est rejeté, donc le risque de voir notre mémoire éparpillée et finalement atomisée est bien réel.